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"Enfant, j'ai souvent prié de me réveiller blanche"

Image du documentaire "Je suis noires" de Rachel M'Bon et Juliana Fanjul. [DR]
Je suis noires - [DR]
Être née en Suisse ou y avoir grandi tout en étant perçue comme une étrangère: c’est autour de ce paradoxe que les Genevoises Rachel Mbon et Juliana Fanjul ont réalisé le documentaire "Je suis noires", qui donne la parole à des Suissesses métisses ou noires. Elles racontent la difficulté de trouver sa place dans son propre pays, mais aussi la souffrance de vivre dans le mépris de soi-même.

Rachel Mbon, coréalisatrice de "Je suis noires", est née d’un père congolais et d’une mère suisse alémanique. "Petite, j’observais ma mère pendant des heures pour tenter de percevoir une ressemblance, un indice de ma part blanche, celle qui venait valider le fait que je n’étais pas totalement noire, comme mon père dont j’avais honte."

Ressentir de la honte pour ses origines et tenter de faire disparaître tout héritage africain: ce sentiment est partagé par chacune des femmes qui témoignent dans le documentaire. Quel que soit leur âge ou leur réussite sociale.

Honte de ses origines

"Enfant, j'ai souvent prié de me réveiller blanche." Quand Tallulah Bär repense à son enfance, c’est avec tristesse et révolte qu’elle explique: "Je voulais juste être comme les autres. Cela me rend tellement triste pour cette petite fille magnifique que j’étais mais qui n’en pouvait plus qu’on se moque d’elle."

Même constat pour Khalissa Akadi, étudiante: "Ma couleur de peau a longtemps été un complexe. Aujourd’hui, je me bats pour ne plus ressentir ce complexe. A l'école, entendre dire des centaines de fois qu’on a la couleur du caca ou des cheveux de sorcière… Même si on fait semblant d'en rire, ça marque quand on se construit."

Je ne me suis jamais sentie aussi suisse qu'en allant au Bénin. On me dévisageait. On m’appelait la blanche.Khalissa Akadi, étudiante

Ne pas se sentir "d’ici". Être renvoyées sans cesse à une origine "autre" plonge un grand nombre d’afro-descendantes dans une quête d’identité sans fin. "Beaucoup partent en Afrique dans le pays d’où nous sommes censées venir dans l’espoir qu’on nous dise: bienvenue chez vous", explique l’historienne genevoise Pamela Ohene-Nyako, "Et, très souvent, cet espace nous renvoie au fait que c'est tout simplement faux: on ne vient pas de là."

Trouver sa place

Un double rejet douloureux que raconte Khalissa Akadi dans "Je suis noires": "Je ne me suis jamais sentie aussi suisse qu'en allant au Bénin. On me dévisageait. On m'appelait la blanche. En Suisse, on ne me considère pas comme métisse, on me dit que je suis noire. On me demande d'où je viens. C’est très compliqué de trouver ma place. C’est comme si je n’en avais pas."

Pour l’historienne Pamela Ohene-Nyako, "on appartient à l’espace où l’on a grandi. C’est la société qui nous renvoie au fait que "parce qu’on a la tête qu’on a", on n’est pas d’ici. Mais nous sommes des Noires d’Europe. Elle est là la réponse."

Pamela Ohene-Nyako réagit à des extraits du documentaire "Je suis noires" dans la vidéo ci-dessous:

Docu réactions "Je suis noires"
Docu réactions "Je suis noires" / Docu réactions / 4 min. / le 9 mars 2023

Avec le documentaire "Je suis noires", il n’est plus question de savoir si le racisme est encore un problème en 2023 en Suisse. Le film rompt avec l’idée que le racisme existe sous forme de cas isolés ou de situations exceptionnelles. "Je suis noires" ouvre à une souffrance trop peu entendue et invite à se questionner sincèrement sur notre rapport aux personnes racisées.

Les documentaires RTS, Muriel Reichenbach

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